La Révolution Des CRISPR

18/10/2015 | Bio Sorcier

« Bonjour madame ! »

Le médecin avait prononcé ces mots de façon si non-chalente… Marie savait que ce n’était qu’un contrôle de routine, un de plus parmi ceux qui jalonnent la grossesse, mais elle était tendue malgré tout.

« Je viens d’avoir les résultats du séquençage génétique de votre futur enfant, déclara le jeune docteur. Nous avons détecté une trentaine de facteurs de risques génétique, vous êtes dans la bonne moyenne madame !

Le jeune homme venait de lâcher ces mots comme si ce n’était rien.

« Une trentaine ?! s’écria Marie. Tant que ça ? Mon assurance ne couvrira jamais tout ça !

–  Ne vous inquiétez pas, la sécurité sociale prend en charge les facteurs classiques qui pourraient se développer en cancer ou autres maladies neurodégénératives. Le reste c’est pour le confort, j’ai un ami daltonien, il le vit très bien…

–  Quand même j’aimerai pouvoir m’assurer que tout soit parfait…. se lamenta la future mère.

– De toute façon, il vous reste une semaine pour décider avant l’injection et le début de la thérapie, vous déciderez du reste avec votre conjoint. Écoutez Mme Je vous propose de vous rendre à l’accueil pour décider d’une date pour notre prochain rendez-vous, termina le médecin.


Introduction.

Cette scène semble futuriste… mais ce futur est beaucoup plus proche que ce que l’on croit. En fait, ce futur n’a jamais cessé et continu de se rapprocher de nous depuis 5 ans environ.

Le système CRISPR-Cas9 (pour les anglophiles; Clustered Regulary Interspaced Short Palindromic Repeats – CRISPR associated protein 9) derrière cet acronyme ignoble que l’on prononce /ˈkrɪspəʳ/, se cache une des plus grande révolution biologique de notre époque, depuis l’avènement de la PCR et de la découverte de l’ADN.

C’est tout simplement la thérapie génique. Simplement…. en même temps ça fait un moment que l’on nous rabat les oreilles avec cette fameuse thérapie génique. Mais ce qu’il faut bien comprendre, ce qui rend les CRISPR si merveilleux aux yeux des scientifiques, c’est la facilité d’usage et la précision de ce système. Simplement, les anciennes études et expériences de thérapies génique étaient réalisées à l’aide de protéines que l’on appelle « Enzymes à doigts de zinc » ou encore les « Talen ». Ouais, derrière ces noms bizarres se cache une autre extravagance, les coûts: près de 5000$… rien que ça. Aujourd’hui, l’utilisation des CRISPR revient à moins de 30$ et ils sont tellement simple à utiliser que même des étudiants peuvent s’en servir, facilement.

"D'après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford".
« D’après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford ».

Cette méthode est tellement efficace que ces deux créatrices (les chercheuses américaine Jennifer Doudna, et française Emmanuelle Charpentier) sont passées de très peu du prix Nobel de chimie il y a deux semaines. Pour une technique qui a peine 5 ans !!

Mais voilà, ce système est tellement simple et puissant que de nombreuses questions éthiques et morales sont soulevées. Au cours de ce billet je vais tenter de vous expliquer comment fonctionnent les CRIPSR, d’où ils viennent et surtout les applications et limites de ce fabuleux outils.

Nos amies les Bactéries.

D’où viennent les CRIPSR ? Comment fonctionnent-ils ?

Bah comme souvent en biologie, ce système à été découvert chez les bactéries. De toute façon dès qu’un truc marrant apparait en biologie, elles sont souvent impliquées. Ce système CRISPR est retrouvé chez près de 40% des bactéries et fonctionne sur 3 phases:

Figure2bis
« D’après de Dr. Cédric Norais ». Sur cette figure sont représentées les 3 grandes phases d’action du système CRIPSR: l’adaptation, l’expression, l’interférence. Ces trois phases permettent à la bactérie de se défendre contre un élément génétique étranger mais également de garder en « mémoire » une trace de cette invasion afin de permettre une réponse plus rapide en cas d’une nouvelle infection.

Donc en résumé sur ce schéma, lorsque la bactérie est en présence d’un ADN envahisseur (genre un virus), le système CRISPR permet à la bactérie d’intégrer dans son propre ADN un fragment de l’ADN envahisseur au cours de la phase d’adaptation. Puis pendant une phase d’expression, elle va se servir de ce fragment d’ADN envahisseur pour former un complexe d’attaque avec une protéine Cas (genre Cas9) et qui pourra ensuite détruire spécifiquement l’ADN envahisseur au cours de l’interférence, protégeant ainsi la bactérie d’une infection par un virus.

C’est pour ça que de nombreux chercheurs qualifient pompeusement le système CRISPR de « système immunitaire bactérien« . Je ne suis personnellement pas tout à fait d’accord avec cette appellation, d’abord parce que seulement 40% des bactéries possèdent un système CRIPSR (alors que bon… soyons honnête, un système immunitaire est un avantage évolutif énorme, on devrait avoir donc une plus grande proportion de bactéries exprimant le système CRIPSR). En plus de ça, dans ces 40%, une grande majorité de ces bactéries ne l’activent pas, c’est à dire qu’il n’est pas fonctionnel. Finalement, il existe déjà un système de protection pour les bactéries, plus répandu et plus efficace, le système Interférons.

Mais le point d’intérêt n’est pas là. Non. Vraiment non. Ce qui est fascinant ici c’est que l’on a un complexe d’attaque constitué d’une séquence d’acide nucléique (ADN/ARN) et d’une protéine Cas9 qui peut se fixer spécifiquement à un ADN.

Petit rappels sur l’ADN: L’ADN est une molécule constituée d’une succession de 4 bases ATGC. Chez l’homme, l’ADN est constitué de près de 3 milliards de bases, étalées sur 23 chromosomes, qui forme ce que l’on appelle le génome. L’ADN a cette propriété fantastique de pouvoir lier des séquences homologues: c’est à dire que si on synthétise une séquence d’ADN, par exemple -ATTGCGAC-, et qu’on l’insère dans le génome d’une cellule, cette séquence ira se fixer sur toute les parties du génome de la cellule contenant une séquence identique….

Et donc concrètement ? …

Et bien concrètement, si on associe à Cas9 une séquence d’ADN correspondant par exemple à une séquence mutée dans le génome qui pourrait aboutir à la formation d’un cancer, ou une autre maladie, Cas9 détruira la séquence mutée dans le génome spécifiquement ce qui permettra donc d’empêcher la formation du cancer ou de la maladie en question.

Sur ce schéma en vert on retrouve Cas9, En jaune et violet différents domaines qui permettent à la protéines de fonctionner. La séquence rouge est l'ADN génomique et la séquence noire correspond à la séquence homologue.
 » D’après l’article RNA-guided human genome engineering via cas-9″. Sur ce schéma en vert on retrouve Cas9, En jaune et violet différents domaines qui permettent à la protéine de fonctionner. La séquence rouge est l’ADN génomique et la séquence noire correspond à la séquence homologue.

Quelles sont les applications de ce système ?

Une des premières avancées réelles des CRISPR qui impactera nos vies aura lieu dans le monde agricole. On parle beaucoup de la thérapie génique (et j’en reparlerai plus loin), mais d’autres applications avec un impact au moins aussi fort peuvent être réalisées par l’intermédiaire des CRISPR.

En effet, en prenant en compte des différentes études menées par de nombreux laboratoires, certaines modifications ont été réalisées chez quelques espèces de plantes et animaux (bétail) par le biais des CRISPR; des chèvres et des porcs plus résistants aux maladies, des oranges enrichies en vitamines, ….
Les avantages de premiers abords sont évidents; par exemple fournir aux populations qui souffrent de famines (dans les continents africain ou asiatique) des plantes et animaux plus simples à faire pousser/ à élever (résistants aux maladies, aux sécheresses) et surtout plus nutritifs.

Une autre possibilité est l’ingénierie d’écosystème. Voilà une nouvelle science sur le point de naître: comment modifier un écosystème par le biais d’outils génétiques. Le principe est simple, partir d’un individu modifié génétiquement et finir par atteindre toute la population. Toujours pas compris ? Prenons un exemple: les moustiques. Voilà l’animal, dont on dit de lui qu’il est le plus meurtrier du règne animal. Prenons donc un moustique porteur d’une maladie que nous connaissons bien; la Dengue. Si on libère dans son milieu naturel un moustique génétiquement modifié, capable de synthétiser par lui même une protéine Cas9 qui détruirait les virus de la dengue, en se reproduisant, ce moustique transmettra à sa descendance cette protéine. Ceci empêcherai les moustiques d’être contaminés par la Dengue, et par extension l’Homme aussi. Cette technique porte un nom, le « Gene Drive »:

"D'après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford".
« D’après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford ».

Et puis finalement la thérapie génique. Loin d’être un rêve, puisque récemment, une équipe de chercheurs chinois menée par le Dr Huang ont réussi à modifier des embryons humains et à les soigner de la β-thalassémie, une maladie du sang (cf « CRISPR-Cas9 mediated gene editing in Human Tripronuclear Zygotes »). Ces embryons n’étaient pas destinés à la réimplantation.

Mais, il y a un mais…..

Depuis 2 ans environ, le nombre de start-up basées sur le principe de CRISPR a énormément augmenté, faisant monter, avec elles, la valeur « économique » des CRISPR. Les laboratoires travaillant sur les CRISPR ont aussi pu bénéficier de fonds supplémentaires. Certains chercheurs vont même jusqu’à dire que les premiers essais cliniques sur l’homme débuteront dans les 2-3 prochaines années.

"D'après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford".
« D’après CRISPR, The disruptor, par H. Ledford ».

En fait, il y a un grand débat actuellement dans la communauté scientifique sur la portée éthique et morale des CRISPR. Ces voix dissidentes se sont faites beaucoup plus nombreuses depuis la publication dans la revue Protein and Cell des travaux de l’équipe du Dr Huang.

En effet, lorsque les chercheurs travaillent sur des cellules humaines, ils travaillent sur des cellules non-sexuelles (ou somatiques) comme des cellules de peau, sang,… Or ici, et comme c’est les cas pour de nombreuses études, les CRISPR ont été appliqués chez des embryons. Si on arrive à soigner les embryons, c’est également empêcher leur descendance de développer la maladie, puisque celle-ci aura été retirée du génome. Ici on touche au patrimoine génétique de l’Humanité, et non plus au patrimoine génétique d’un humain.

La co-fondatrice du système CRISPR Cas9, Emmanuelle charpentier, reconnaissait elle même dans une interview accordée au journal Le Monde (publié sur leur site le 12.08.15): « Nous ne connaissons pas les effets à long terme des modifications génétiques ».

Cette méconnaissance est d’autant plus flagrante que ce système CRISPR n’est pas infaillible. Cas9 peut aussi se tromper de cible dans le génome (ce qu’on appelle le phénomène de off-targets). Ce phénomène reste mal connu et peu étudié, et le nombre de off-targets peut varier entre 0.1 et 60% des séquences atteintes. Cette variation peut être due soit au type de cellule sur laquelle est pratiquée la thérapie ou alors à la complexité de la séquence que l’on souhaite atteindre. Ainsi même si la séquence que l’on souhaite détruire dans le génome est bien retirée, Cas9 peut dans le même temps altérer d’autres séquences d’ADN, des séquences que l’on ne souhaite pas éliminer.

Et Finalement…

Pour finir et conclure, je dirais que ce système reste aujourd’hui notre plus grand espoir pour la thérapie génique. En plus de cette thérapie qui pourrait soulager l’Humanité de nombreuse maladies, elle pourrait apporter aux Hommes de nombreux autres avantages, c’est tout un nouvel horizon qui s’ouvre pour les biologistes.

Même si des cadres juridiques restent à mettre en place, et même si le système CRISPR mérite encore qu’on l’améliore, il n’y a plus grand chose qui peut empêcher la petite protéine Cas9 de changer notre monde.

Nous vivons dans une société ultra-eugénique, où l’avortement des bébés mal formés, ou malades est une chose socialement admise, à tort ou à raison (ainsi près de 95% des femmes enceintes de bébés trisomiques avortent). Et dans le même temps, on s’indigne sur la modification des embryons par les voies génétiques. Peut être que dans un futur (proche sans doute), nos enfants et petits enfants ce moqueront de ce grand écart moral et préféreront soigner les embryons plutôt que d’avorter les bébés mal formés.

Cependant, les CRISPR ne sont pas les seuls à pouvoir « sauver l’humanité », il existe une autre méthode… une vielle découverte scientifique qui a sauvé plus de vie que n’importe quelle autre pratique, invention, avancée dans l’histoire des Hommes. Ces inventeurs sont placés comme des génies, des pères fondateurs dans le panthéon des biologistes ! Mais pour en savoir plus, il faudra attendre mon prochain article 😉 !

4 commentaires

  1. C’est un nouvel outil pour l’humanité, à nous de décider comment l’utiliser.
    Pour ma part je ne vois rien de choquant à éradiquer les maladies avant qu’elles ne s’expriment. Une utilisation médicale de cette technologie est un immense progrès.

    1. Merci pour votre commentaire 🙂
      Je suis entièrement d’accord avec vous. Chez l’homme l’utilisation de cette technologie à des fins médicales permettrait effectivement d’éradiquer de nombreuses maladies. Mais il est vrai que cette utilisation doit être encadrée afin d’éviter toute « dérive » qui pourrait s’avérer dangereuse. Un dès problèmes des CRISPR est qu’ils sont arrivés tellement vite, qu’aucun cadre juridique ne permet vraiment l’encadrement de cette technique et du coup, nombreux sont ceux qui craignent pour la diversité génétique…

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